
Dans certaines Églises, la maltraitance ne prend pas toujours la forme de gestes violents ou de paroles humiliantes. Elle se déploie plus subtilement, plus insidieusement, à travers un mal bien plus profond : la non-traitance.
Cette non-traitance, qui consiste à ne pas prendre soin, à ne pas répondre, à ne pas regarder et à ne pas écouter, à passer à côté trouve souvent racine dans une culture ecclésiale où l’humain est relégué au second plan. L’attention est prioritairement portée sur la théologie, la liturgie, la fidélité à la Parole, parfois au détriment de la relation à l’autre.
« Ce n’est pas si grave, il faut pardonner »
« Dans un conflit, les deux parties sont en tort, donc parfois le plus intelligent doit céder pour ne pas envenimer les choses »
Ces phrases, souvent entendues, traduisent un refus d’interroger les pratiques, un déni des souffrances vécues, et parfois, une indifférence institutionnalisée.
Un terreau pour la toute-puissance
Lorsque les relations humaines ne sont pas pensées, lorsqu’il n’y a ni formation, ni cadre, ni instance pour réguler les dysfonctionnements, alors la domination s’installe là où le lien fait défaut. C’est ainsi que certaines figures de toute-puissance peuvent prospérer, imposant leur autorité sans partage, muselant les contestations, disqualifiant les alertes.
Dans ces contextes, la souffrance de la personne blessée est niée, étouffée, voire retournée contre elle : on l’accuse d’exagérer, de troubler la paix, de manquer de foi.
La non-traitance, maladie du lien
La non-traitance relationnelle est une rupture du lien d’humanité. Elle s’exprime dans l’indifférence, l’ignorance des besoins, le refus d’écoute, les réponses absentes, les regards méprisants ou l’instrumentalisation de l’autre. Elle génère chez ceux qui les subissent un sentiment profond de déconsidération, de solitude, voire d’inexistence.
Elle se manifeste aussi dans l’absence de réponse des autorités ecclésiales aux appels répétés, ou dans l’absence de formation aux dimensions humaines et relationnelles de la vie d’Église : gestion de conflits, psychologie des personnes âgées, dynamique des groupes, management bienveillant, gouvernance partagée, prévention des violences…
Un appel à la bientraitance
La non-traitance n’est pas neutre. Elle est un terreau favorable aux violences plus visibles : abus spirituels, psychiques, sexuels ou physiques. Et elle participe à la perte de crédibilité de l’Église auprès de ses fidèles comme du monde extérieur.
À l’inverse, la bientraitance — qu’elle soit relationnelle ou institutionnelle — est un choix éthique, un engagement spirituel. Elle suppose de poser l’écoute, le respect, la considération et la protection de l’autre comme des priorités évangéliques. Elle implique un réel travail de formation, de régulation, et de vigilance.
Il est urgent que l’Église — ses gouvernances, ses responsables, ses membres — prenne au sérieux les blessures relationnelles, car elles sont souvent le prélude silencieux aux grandes crises visibles. Une Église qui ne soigne pas ses liens finit par blesser les siens.
Marie-Christine CARAYOL – Edith TARTAR GODDET