
Accueillir l’inattendu dans nos communautés
Dans l’Église, nous parlons volontiers d’accueil, de fraternité, d’ouverture. Mais que se passe-t-il lorsque certaines personnes ne correspondent pas aux codes implicites de la « bonne présence chrétienne » : calme, humble, stable, mesurée ?
Lorsque des tempéraments plus vifs, plus sensibles ou plus rapides viennent bousculer nos habitudes, nous sommes parfois tentés de mal interpréter leur manière d’être.
On projette sur eux de la toute-puissance, de l’arrogance, de l’instabilité ou du désordre, alors qu’ils portent en réalité des façons singulières de penser, ressentir et croire.
Dans cet article nous explorerons deux profils encore trop mal compris dans nos Églises :
- Les personnes à haut potentiel intellectuel (HPI),
- Les personnes vivant avec un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité).
Nous verrons comment, dans les deux cas, des fonctionnements neuroatypiques peuvent être injustement associés à des intentions de pouvoir ou de désordre, alors qu’ils expriment souvent une recherche authentique de sens, d’amour et de Dieu.
- HPI dans l’Église : penser fort n’est pas vouloir dominer
Certaines personnes dans nos communautés ecclésiales pensent vite. Fort. Profond. Elles repèrent les failles dans les discours, les non-dits dans les textes, les contradictions dans les pratiques. On les admire parfois… mais souvent, on les craint. On les évite. On dit d’elles, à demi-mot :
« Elle veut toujours avoir raison. »
« Il prend trop de place. »
« C’est trop intense, trop compliqué. »
Et voilà que l’étiquette tombe : « toute-puissance intellectuelle ».
Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Et si on se trompait d’analyse ?
Être HPI, ce n’est pas vouloir dominer
Le haut potentiel intellectuel, ce n’est pas une supériorité. C’est un fonctionnement cognitif et affectif particulier, qui peut inclure :
- une pensée en arborescence, très rapide, souvent difficile à ralentir,
- une quête constante de sens, d’alignement, de profondeur,
- une hypersensibilité qui accompagne cette intensité intellectuelle.
Autrement dit : une personne HPI vit, pense, ressent plus fort.
Pas pour briller. Pas pour s’imposer. Mais parce que c’est sa manière d’être au monde.
L’Église face à ce qui dépasse ses cadres
Dans une Église parfois marquée par :
- des codes relationnels implicites (ne pas trop dire, ne pas trop déranger),
- une valorisation de l’humilité comme effacement,
- une préférence pour les discours lissés, apaisants…
… une personne HPI peut faire peur.
Parce qu’elle pose des questions qui dérangent.
Parce qu’elle pointe des incohérences liturgiques, théologiques ou institutionnelles.
Parce qu’elle cherche une vérité qui tient debout, pas une parole qui rassure.
Et ce besoin de cohérence, de vérité, de sens profond, est alors mal interprété comme une volonté de toute-puissance.
Quand la lucidité est vue comme une menace
Ce qui est vécu comme une « prise de pouvoir » est souvent :
- un appel à la cohérence, face à des discours tièdes ou des pratiques vidées de sens,
- un besoin d’authenticité, parfois exprimé de manière abrupte,
- une fatigue de l’infantilisation, trop fréquente dans certaines pastorales.
Et si ce que l’on perçoit comme de l’orgueil n’était qu’un cri intérieur, celui de quelqu’un qui ne supporte pas la demi-mesure en matière de foi, de justice ou d’amour ?
Ce que l’Église ne voit pas toujours
La personne HPI dans l’Église peut :
- se sentir en décalage permanent,
- ralentir son intelligence pour ne pas déranger,
- s’isoler pour éviter d’être jugée,
- s’épuiser à chercher sa place dans une institution qui valorise l’uniformité plus que la diversité cognitive.
Elle ne veut pas tout diriger. Elle veut participer pleinement, avec ce qu’elle est, sans avoir à se cacher ou se simplifier.
Une Église qui n’a pas peur de penser
Et si l’Église osait :
- accueillir les questionnements sans se sentir remise en cause,
- faire place aux pensées qui bousculent sans les juger arrogantes,
- discerner les dons derrière les excès, les blessures derrière les silences ?
Loin d’être toute-puissance, le HPI est souvent lucidité blessée, intelligence exigeante, spiritualité à fleur de peau.
Conclusion : la vérité aime la complexité
Le Christ n’a pas eu peur des penseurs libres, ni des chercheurs de vérité. Il a même été troublé par la profondeur de certaines questions.
Il n’a pas demandé aux esprits vifs de se taire. Il leur a demandé d’aimer.
Alors pourquoi l’Église hésite-t-elle encore ?
Pourquoi regarde-t-elle les personnes HPI comme des problèmes à cadrer, plutôt que comme des grâces à écouter ?
Une Église vivante n’a pas peur de ceux qui pensent fort. Elle apprend à faire avec, à faire grâce, à faire Église… ensemble.
2) TDAH et Église : quand le feu intérieur est pris pour de la toute-puissance
Dans nos Églises, nous avons également parfois du mal à accueillir ceux qui ne rentrent pas dans les cases. Ceux qui dérangent les cadres habituels. Qui parlent fort, ou trop. Qui oublient, s’agitent, arrivent en retard. Parmi eux, certaines personnes vivent avec un TDAH — un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Et trop souvent, on leur prête des intentions qui ne sont pas les leurs.
Comme si leur énergie était de l’orgueil. Leur intensité, une volonté de dominer. Leur inconstance, une stratégie de contrôle.
On les soupçonne, parfois même sans le dire, d’avoir un problème avec l’autorité, avec les règles, avec Dieu peut-être.
Et si, au contraire, c’était l’Église qui avait un problème avec la liberté, l’imprévu… et la vie ?
Quand la spontanéité dérange les codes
Une personne avec un TDAH peut manifester :
- un enthousiasme débordant,
- une pensée foisonnante,
- une présence rayonnante, parfois explosive.
Dans un cadre ecclésial souvent marqué par le calme, la mesure, la liturgie bien ordonnée, cela détonne. Cela peut gêner. Et très vite, une étiquette tombe : « toute-puissance ».
Comme si cette personne cherchait à prendre la place, imposer son rythme, s’imposer.
Mais ce n’est pas forcément le cas. Il faut parfois changer notre grille de lecture.
Sous l’agitation, une grande sensibilité
Le TDAH, ce n’est pas une forme de toute-puissance, mais souvent une fragilité vive :
- Une hypersensibilité à l’ennui, à l’injustice, aux incohérences.
- Une difficulté à rester dans des cadres rigides, non par refus, mais parce qu’ils deviennent vite étouffants.
- Une quête de lien immédiat, sincère, direct — parfois maladroite, parfois trop intense.
Et oui, cela peut bousculer. Mais est-ce une mauvaise chose ?
L’Église face au feu qu’elle ne comprend pas
L’Église peut se sentir menacée par ce qu’elle ne maîtrise pas.
Lorsqu’elle est confrontée à des profils TDAH, elle peut :
- chercher à « calmer », à « recadrer »,
- interpréter la vivacité comme de l’arrogance,
- demander sans cesse de s’adapter, sans jamais faire un pas vers l’autre.
Mais si l’on regarde autrement, ces personnes sont souvent :
- des moteurs de créativité,
- des veilleurs pour la cohérence entre foi et vie,
- des chercheurs d’absolu, au risque de se brûler.
Ce n’est pas de la toute-puissance. C’est de la vie.
Et si ce que nous prenons pour de la toute-puissance… n’était que de la vie qui déborde ?
Une vie mal canalisée, certes. Trop rapide parfois. Difficile à suivre. Mais sincère. Et précieuse.
Les personnes avec un TDAH dans l’Église ne demandent pas à être admirées ni à tout diriger.
Elles ont besoin :
- d’être écoutées sans jugement,
- de trouver leur juste place dans la communauté,
- de vivre leur foi avec leur propre tempo, pas celui qu’on leur impose.
Une Église vivante ou une Église figée ?
Accueillir les personnes neuroatypiques, c’est accepter que le Corps du Christ n’a pas un seul rythme.
Que tous les membres ne pensent pas pareil, ne prient pas pareil, ne s’organisent pas pareil.
Et que c’est bon. Vital même.
Loin d’être des figures de toute-puissance, les personnes TDAH sont des éclaireurs de vulnérabilité.
Elles rappellent que l’Esprit Saint souffle où il veut, comme il veut, même quand ça décoiffe.
Vers une Église vraiment inclusive
Ces profils neurodivergents nous confrontent à une question fondamentale :
Souhaitons-nous une Église conforme, ou une Église vivante ?
Car accueillir une personne HPI ou TDAH, ce n’est pas simplement « tolérer une différence », c’est :
- accepter que la foi se dise autrement,
- reconnaître que le Saint-Esprit travaille aussi à travers des chemins non linéaires,
- oser être déstabilisés par ceux qui, souvent, portent un regard lucide, intense, douloureusement vrai sur nos manques de cohérence ou de profondeur.
Il ne s’agit pas de survaloriser ces profils, ni de les excuser de tout, mais de sortir de la logique de suspicion ou de maîtrise.
L’Église ne peut pas grandir en étouffant ce qui la dérange. Elle ne peut pas devenir féconde en refusant l’imprévu. Elle a besoin de toutes les formes de vie intérieure, même les plus inhabituelles.
Et si ces personnes nous rappelaient qu’avant de « bien faire Église », il fallait déjà oser être soi devant Dieu ?