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Dans le monde professionnel — même lorsqu’il est animé par une vocation, une mission ou une dimension spirituelle — certaines frontières doivent demeurer sacrées.
L’une d’elles est claire : un responsable hiérarchique ne peut pas devenir l’accompagnateur spirituel de son subordonné.
En effet ces deux rôles, pourtant porteurs de sens, sont incompatibles par nature.
Deux rôles que tout oppose : autorité et vulnérabilité
Un responsable hiérarchique détient un pouvoir réel :
évaluer, orienter, encourager, sanctionner parfois, décider d’une mission ou d’une promotion.
Un accompagnateur spirituel exerce un rôle d’un tout autre ordre :
offrir un espace de gratuité, accueillir la vulnérabilité, écouter sans juger, prendre soin de l’âme en toute confidentialité.
Ces deux postures ne peuvent pas habiter la même relation.
On ne peut pas être, au même instant celui qui détient l’autorité et celui qui accueille les blessures, les doutes ou les larmes.
Dans l’Évangile, comme dans toute éthique spirituelle, une règle demeure : on ne se confie pas à un pouvoir, mais à une présence gratuite.
La liberté intérieure ne doit jamais être compromise
La croissance spirituelle nécessite un sol fertile : la liberté.
Or, la relation hiérarchique est asymétrique par essence.
Même avec le responsable le plus bienveillant du monde, même avec la meilleure intention, un collaborateur ressentira toujours — explicitement ou silencieusement — une forme de retenue :
- la peur d’être jugé,
- la crainte d’être mal compris,
- la prudence de ne pas tout dévoiler à quelqu’un qui détient une part de son avenir professionnel.
Il suffit de cette micro-peur, parfois imperceptible, pour rendre impossible toute authentique rencontre intérieure.
La liberté spirituelle est un espace sacré. Elle se fane dès qu’elle perçoit la moindre pression, même invisible.
La confusion émotionnelle : un terrain instable pour tous
L’accompagnement spirituel touche aux zones les plus profondes : la culpabilité, la résilience, les blessures anciennes, les quêtes de sens, voire les traumatismes.
Si un responsable entre dans cet espace, il devient émotionnellement impliqué d’une manière qui rendra ensuite difficile :
- de gérer un conflit,
- de recadrer un comportement,
- de trancher une décision difficile,
- ou simplement de garder la distance professionnelle nécessaire.
Il devient à la fois juge et confident, autorité et refuge.
Aucune personne — aussi solide soit-elle — ne peut tenir ces rôles simultanément sans risque de dérive.
C’est la relation professionnelle qui s’effrite. Et c’est la relation spirituelle qui se trouve déformée.
L’éthique de l’accompagnement est unanime : pas de double relation
Dans tous les métiers du soin et de l’accompagnement (psychologie, coaching, travail social, relation d’aide), une règle domine :
👉 pas de double relation
👉 jamais d’accompagnement de quelqu’un sur lequel on exerce une autorité
Cette protection n’est pas une méfiance. C’est une sagesse.
Elle protège la liberté de la personne accompagnée, mais aussi l’intégrité de celui qui accompagne.
La maturité spirituelle : savoir s’effacer sans s’éloigner
Un responsable animé d’un vrai désir de bien — désir parfois profondément spirituel — peut être tenté d’ouvrir un espace intérieur avec un membre de son équipe.
Mais la maturité consiste parfois à dire : « Je ne peux pas être cette personne pour toi. Et c’est précisément parce que je te respecte que je ne franchirai pas cette frontière. »
C’est un acte d’humilité. Un acte de délicatesse. Un acte d’amour véritable.
C’est reconnaître que l’autre mérite un espace où il sera totalement libre, totalement en sécurité, totalement lui-même.
Un espace qui doit être confié à quelqu’un d’extérieur, neutre, et disponible sans intérêt ni pouvoir.
Séparer les rôles, ce n’est pas séparer les personnes
Un responsable peut être profondément spirituel sans devenir accompagnateur spirituel.
Il peut :
- offrir un cadre humain, juste et bienveillant ;
- incarner des valeurs qui élèvent ;
- encourager chacun à trouver ses propres ressources ;
- être une présence paisible, courageuse et respectueuse ;
- orienter vers des accompagnateurs extérieurs ;
- inspirer sans capturer, guider sans posséder.
C’est même ainsi qu’il devient un leader spirituel authentique, un leader qui ouvre des chemins au lieu de les imposer.
Conclusion :
Tracer des limites n’est pas mettre des murs. C’est protéger la relation elle-même.
Lorsque les rôles sont clairs et les places justes, la confiance peut circuler, et la liberté intérieure est respectée.
Un responsable qui refuse de devenir accompagnateur spirituel ne retire rien : il protège, il honore, il préserve.
C’est cela, au fond, un leadership vraiment spirituel : un leadership qui n’enferme pas, mais qui libère.









