Mais…se décrète t’elle vraiment ?
Avez-vous déjà vécu l’expérience suivante : vous êtes dans un groupe de travail, de projet, de développement personnel et on vous dit : une règle de fonctionnement du groupe c’est la bienveillance !
Sous-entendu, vous pensez que l’autre est vraiment idiot et qu’il dit n’importe quoi, et ben vous affichez un gentil sourire et vous dites : « Moi j’ai une autre expérience de la chose » etc…
Mais vous n’en pensez pas moins !!
Et après la réunion, vous vous empressez de retrouver celui qui vous ressemble le plus, qui vous rassure, dont vous n’avez pas peur et vous lui dites : « Non mais celui là, il est grave ! t’as pas vu ce qu’il a dit ? il est à côté de la plaque ! »
Et si je vous disais que c’est dans le regard que l’on porte sur l’autre que nait la violence ?
Tout çà pour dire que LA BIENVEILLANCE NE SE DECRETE PAS ! (ni ne se sécrète malheureusement…)
Eh oui, parfois, on a un peu de mal à accepter que l’on n’est pas tous des êtres rationnels et de bonnes foi. Parfois, nous pouvons simplement être manipulés par nos idéologies, nos passions, nos folies, bref fonctionner en humanoïde animal standard.
La bienveillance est bien plus qu’une façade : récit d’expérience
Par un exemple précis et vécu, je vais vous expliquer pourquoi je pense que la bienveillance est un conditionnement et quels sont ses effets pervers. Car le conditionnement c’est bien l’assujettissement de la volonté humaine à un déterminisme.
§
Car toute violence commence par
le regard que l’on porte sur l’autre, et le regard est quand même plus
difficile à conditionner que la parole !
J’ai longtemps cru que j’étais quelqu‘un de bien, juste parce que je n’étais pas dans un mode agressif ou frontal. Je me pensais pacifiste, une personne comme il faut sans histoire et jamais fâchée avec personne.
Car c’est ainsi que l’on m’avait formatée. Issue d’une famille chrétienne, profondément croyante et pratiquante, j’ai été baigné dans le il faut être, il ne faut pas être, il faut dire, il ne faut pas dire…le bien, le mal, le gentil, le méchant, le bon le mauvais….
De plus, du a un contexte particulier, toute tentative d’expression de mes besoins, ou d’expression d’un sentiment négatif ou d’un avis contraire à l’ordre dominant était systématiquement réprimé et sanctionné…
Imaginez-vous mon positionnement par rapport au conflit…
J’avais alors systématiquement fuit le conflit dans mes projets. Plutôt que d’être en conflit, j’avais à deux reprise rompu mes contrats de travail car je n’étais pas en accord avec ma hiérarchie. De nature entreprenante et idéaliste, j’ai créé une structure de soutien aux familles dans un quartier de Strasbourg où au bout de 6 ans nous étions à 18 salariés. J’y ai alors décrété la bienveillance. Il y régnait un véritable atmosphère « bisounours ». On travaillait dans le social auprès de 300 familles, il y avait 50 bénévoles et c’était vraiment la grande famille du bonheur ! Vous auriez été ravis d’y travailler. On faisait souvent la fête ensemble, beaucoup d’amitiés se sont créés, nous développions un sentiment d’appartenance voire d’accoutumance, il y avait la possibilité d’être valorisé, entouré, accompagné, aidé, soutenu…. Quand une mésentente ou un malentendu apparaissait on prenait le temps de faire de la médiation, de pratiquer l’écoute active.
Et puis de temps en temps, certains disparaissaient. Plus de nouvelles, certains réapparaissaient au bout d’un an, deux an voir 3….et nous faisions plein de suppositions et d’hypothèses sur le pourquoi de leur départ ? Auraient il aimé avoir un job à l’association ? N’avait on pas comblé leurs besoins, leurs attentes ? Certains disaient aussi qu’ils ne voulaient pas faire de peine, car ils étaient reconnaissants de tout ce qu’on avait fait pour eux et étaient dans l’admiration de ma personne notamment. Effectivement je me donnais corps et âme à la tâche et j’occupais un peu tout l’espace. Nous nous pensions un peu tout puissant. Nous pensions que nous pouvions combler tous leurs besoins et qu’il était donc impossible qu’ils aient quoi que ce soit comme ressentiment envers l’association ou envers ma personne.
A un moment (au bout de 10 ans) certaines choses ont commencé à exploser. Quelques personnes sont devenues agressives, négatives et systématiquement dans l’opposition. Je ne comprenais pas ce qui leur arrivait. L’une d’elle m’a dit : qu’il n’y avait juste pas de place pour le désaccord, pour les avis divergents, pour le conflit ! Nous étions dans un espèce de contrat tacite ou tout de monde était du même avis, allait dans le même sens, peut-être une espèce de « gentil despotisme éclairé ». Le monde des bisounours !
Ma première réaction a été de s’insurger, que non j’étais une gentille personne, à l’écoute, ouverte, et que l’on pouvait aller contre mes idées…
Mais l’univers que j’avais instauré, tout bardé de bonnes intentions et d’amour chrétien, ne le permettais pas ! Les gens ne se permettaient pas ne se sentaient pas autorisé à…. En effet, Je mettais tant d’énergie à faire que tout le monde soit bien, que l’ambiance soit bonne, valorisante, soutenante, que je n’aurais certainement pas accepté que l’on puisse se sentir mal dans ce monde-là. Je l’aurais certainement pris personnellement. Je n’arrivais tout simplement pas à être dans l’accueil des sentiments négatifs car je me sentais mise en danger. Pour moi le plus appelait le plus. Le pire était quand un bénévole ou un habitant, trouvait qu’il avait été mal accueilli par un salarié, mon monde s’écroulait. Je ne cherchais pas à savoir ce qui se passait pour le salarié, pour moi ce n’étais simplement pas normal de mal accueillir quelqu’un… le monde des bisounours était menacé…
J’ai compris alors pourquoi
certaines défections et disparitions soudaines sans explications, et pourquoi
cette rébellion si violente d’un seul coup…
Mais qu’est ce qui clochait en fait ?
La bienveillance est là quand nous pouvons être accueillis et accueillir l’autre avec le négatif qui est en nous, avec le sentiment et l’état d’esprit du moment…
Pour cela il s’agit tout d’abord
de pouvoir regarder et accueillir nos parts d’ombres, notre monstre, notre
violence…ce qui nous permettra à notre tour d’accueillir l’autre dans son
humanité et de ne plus le considérer comme potentiellement mauvais, inférieur
ou inexistant.
Or qu’est ce qui fait que nous n’accueillons
pas le sentiment de l’autre ? Car il nous fait peur, il nous met en
danger, il menace la bonne ambiance fragile et précaire que nous tentons de
mettre en place dans un projet soutenu par des valeurs fortes.
Il s’agit donc avant tout d’accepter que ce n’est pas avec une utopie de vivre ensemblisme, comme dirait Charles Rojzman (fondateur de la thérapie sociale) que tous les problèmes disparaitront : « Un peu de volonté, de gentillesse, un doigt de communication, une pincée de dialogue, embrassons-nous, prenons nous par la main et tout va rentrer dans l’ordre » (Violences dans la république, l’urgence d’une réconciliation, ed. La découverte, 2015). Toute cette illusion cache de véritables conflits, des intérêts bien pesés, des prises de pouvoirs, des ambitions dissimulés.
Construire ensemble c’est faire avec des gens angoissés, apeurés, rêveurs, fous, entreprenants, bref avec les gens comme ils sont…
Et nous ne sommes pas seulement différents, nous sommes aussi en désaccord, sur nos valeurs, nos avis divergent…
Charles Rozjman a observé que quelle que soit son histoire personnelle, son origine, son milieu, l’être humain est partagé entre une capacité d’amour et de coopération et une défiance susceptible de tendre vers la haine. Cette haine peut revêtir des formes plus socialement admises .
Ouvrir les yeux sur la violence pour laisser place au conflit constructif créateur de rapports authentiques
La violence apparait lorsque le mécontentement, le différend ou le désaccord profond n’ont pas de terrain d’expression. Par peur de la violence, ce sont les conflits que nous taisons. Et c’est l’impossibilité d’exprimer ces conflits qui provoquent la violence. Créer un cadre sécurisant pour laisser s’exprimer les désaccords, ce que l’on rejette, déplore, condamne, permet de transformer la violence en conflits. Celui-ci ne peut s’exprimer que dans un cadre de confiance
Il nous permet de nous connaitre
vraiment, de nous laisser la possibilité d’entrevoir notre humanité.
Etre conscient de ses forces, de ses faiblesses et failles, tout en se sachant en chemin, permet d’accueillir les manquements et les errances des autres membres du groupe, et ne pas les prendre contre soi ou contre la dynamique ô combien porteuse de sens.
Donc la BIENVEILLANCE SE DECRETE, oui dans un seul cas, envers soi-même.