La pluridisciplinarité en EAJE : Injonction ou opportunité !
La thérapie sociale, approche transdisciplinaire invitée par Charles Rojzman dans les années 80, est une démarche qui permet la rencontre des uns et des autres au-delà des peurs, des séparations et des incompréhensions réciproques. Elle propose un travail sur les besoins réels de chacun, afin d’optimiser les effets de l’intelligence collective au service des missions de l’équipe.
Le
décret du 20 février 2007 entérine le concours d’une équipe pluridisciplinaire
et encourage la mixité des savoirs pédagogiques, éducatifs, culturels et psychologiques.
Cette reconnaissance amène à positionner l’accueil de la petite enfance au
confluent du sanitaire, du social et de l’éducatif. Aussi, la mise en
coopération des acteurs « suppose de décloisonner les disciplines et les
faire travailler les unes par les autres sous la contrainte de
l’activité ».
Sur le terrain, la circulation de ces savoirs semble difficile à se mettre en place. Gérard Neyrand précise que « le modèle de l’évolution des savoirs n’est pas celui d’une accumulation de connaissances aboutissant à une harmonieuse progression mais plutôt celui d’une tension entre des positions contradictoires »
Des part leur composition, les équipes en EAJE peuvent être confrontées à des difficultés et malentendus, que ce soit sur des différences de points de vue, de positions, de valeurs et-ou de priorités rencontrées qui peuvent parfois être source de tension et de conflits. Il s’agit souvent d’une question de connaissances des différents métiers par les uns et les autres mais aussi de reconnaissance par les pairs et par la hiérarchie. On observe alors une accumulation d’émotions pénibles qui peuvent aller jusqu’à désorganiser l’équilibre d’une équipe. S’ensuit une baisse de motivation et une déresponsabilisation des membres de l’équipe assorti d’un fort sentiment de victimisation. L’institution, garante de la place de chacun, se doit d’organiser des espaces ou les points de vue et les approches différentes peuvent être suffisamment exprimées, pensées et régulées, base de développement de l’intelligence collective. La dimension du conflit, base de la thérapie sociale me semble être intrinsèquement liée à la rencontre de ces différences.
Ces espaces et ces temps d’expression et d’élaboration seront l’occasion, à travers la communication et le partage d’émotions, de pensées, d’expériences et de points de vue différents, de mieux saisir les enjeux relationnels, de prendre de la distance par rapport aux affects et d’ajuster les interventions. Réfléchir en équipe à ce qui se joue dans un accueil, aux difficultés et blocages rencontrés, rechercher ensemble comment se positionner dans un moment de crise, prendre collectivement les décisions qui engagent l’équipe de façon importante, aident souvent à atténuer la pression qui peut être éprouvée par un accueillant, et, ainsi, diminue les risques de déviances au niveau de la prise en charge des enfants comme des relations au sein de l’équipe. À travers ce travail d’élaboration se construit surtout l’articulation et la cohérence du positionnement des différents intervenants impliqués.
La thérapie sociale : un outil pour penser et confronter les pratiques et le travail interdisciplinaire
Pour une équipe d’accueillants, la capacité de penser, composer et travailler ensemble, ne dépend pas uniquement de la bonne volonté des uns et des autres, ni même des moyens mis à dispositions pour exercer ses missions. Plus précisément, elle me paraît dépendre du niveau de sécurité éprouvé par les différents membres (qui inclut le sentiment d’être reconnu, valorisé et protégé dans l’exercice de ses fonctions auprès des enfants accueillis et-ou des autres professionnels). Ce besoin doit être pris en compte par l’institution qui doit garantir à chacun sa place. Si ce besoin de sécurité n’est pas assez pris en compte, les stratégies développés par les uns et les autres pour valoriser leur place, le développement de jeux de pouvoirs et une attitude dévoyée par rapport à l’autorité peut nuire au fonctionnement de l’équipe.
La fonction de l’intervenant en Thérapie Sociale est de contribuer à rétablir une coopération dans des groupes et des systèmes traversés par des tensions, peurs et séparations, empêchant des relations saines et constructives et la résolution de problèmes complexes. La thérapie sociale vise la transformation de ces peurs, des ressentiments et des violences afin de recréer un lien entre des personnes divisées voire opposées et leur permet ainsi d’exprimer et de vivre leurs différences et leurs conflits de façon constructive.
Au sein de groupes hétérogènes, divers et souvent en tensions, l’intervenant œuvre en vue de permettre : de recréer de liens entre toutes les parties d’un système humain ou organisationnel, de vivre des conflits constructifs en vue de pouvoir œuvrer ensemble dans la prise en compte des uns et des autres, de pouvoir vivre les relations nécessaires à la coopération.
Le but de ce temps du travail en équipe est de pouvoir considérer comme des ressources les modes d’approche différents du sien, d’apprendre à composer avec les différences de place et de rôle des uns et des autres afin de proposer aux familles accueillies des expériences diversifiées de contact, d’analyse, de confrontation aux limites et d’investissement.
La thérapie sociale au service de l’accompagnement du représentant du cadre institutionnel
L es fonctions assumées par le cadre institutionnel doivent permettre aux intervenants :
-D’élaborer des représentations suffisamment partagées et suffisamment claires de leurs missions et de leurs limites. Cela implique pour chacun d’eux de pouvoir se représenter à la fois l’objet de l’institution, ses missions et son public, la finalité du travail relationnel proposé et les fonctions ou attributions spécifiques dévolues à chaque corps professionnel (voire à que membre de l’équipe en fonction de ses compétences, de ses préférences singulières et de son moment d’entrée dans l’institution).Les limites sont elles de nature qualitative (limites du champ de compétence de l’institution et des intervenants) et quantitative (en termes de charge de travail, de responsabilité etc.). Reconnaître et faire avec ces limites, c’est soutenir le sentiment de sécurité nécessaire aux intervenants.
-De se sentir légitimés et écoutés pour exprimer ce qu’ils ressentent et les questions et difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail d’accompagnement.
-De se sentir légitimés pour participer au processus d’ajustement et d’élaboration des dispositifs institutionnels qui contribuent à définir les pratiques des différents corps professionnels et les modalités de leur articulation.
Travailler sur les obstacles à la coopération
La démarche proposée par la thérapie sociale est de construire un cadre sécurisant pour les individus, afin de leur permettre de transformer la violence en conflits constructif pour l’individu et le groupe. Ce climat est la condition à laquelle les participants abordent leurs véritables difficultés et partagent leur vision et leur connaissance de la réalité sans tabous ni langue de bois.
Après un temps d’harmonisation des motivations, puis d’expression et d’accueil de la victimisation, il s’agira d’entrer en conflit, conflit étant vu ici comme une recherche à deux ou plus, entre individus adultes, responsables et égaux, à travers des échanges, pour arriver à l’objectif fixé en commun . Ces conflits seront constructeurs car ils seront l’expression des peurs, des violences, et des besoins de chacun, et donc de tout ce qui peux entraver l’intelligence collective et la coopération.
Le travail n’a pas pour but premier que les personnes trouvent un accord, un terrain d’entente. Il ne s’agit ni d’une négociation, ni d’une conciliation et encore moins d’un arbitrage entre des parties opposées. Le but est de permettre, dans le conflit, de comprendre les visions, les ressentis, les valeurs et les réalités de l’autre afin de retrouver une fraternité commune et un objectif à construire ensemble. Il s’agit de dégager des véritables conflits la chape de violence qui empêche de les vivre et d’y trouver un bien commun qui permette de construire une alternative, qui ne sera ni ce que voulaient les uns ou les autres, mais le fruit d’une intelligence collective et d’une coopération à partir de ce qui opposait les protagonistes au départ.
Le rôle de l’intervenant en Thérapie Sociale n’est ni d’être un arbitre, ni un juge qui tranche ou établit des torts et des responsabilités. Il est au service de la restauration d’une coopération rompue par les tensions, divisions ou violences qui règnent entre les participants. La résolution n’est pas une finalité en soi mais découle du travail de confrontation constructive organisée dans le cadre du processus de Thérapie Sociale.
Conclusion
Penser et élaborer un cadre de travail qui permette aux intervenants d’éprouver un sentiment de suffisante sécurité, c’est-à-dire de reconnaissance de leur fonction, de protection et de non-isolement face aux impacts émotionnels et aux risques de débordement, constitue à mon sens ce vers quoi l’institution doit tendre si elle veut soutenir l’élaboration d’une culture d’équipe et permettre la réalisation de ses missions auprès des personnes accueillies. En ce sens, un travail en thérapie sociale me parait totalement adapté car cette démarche agit sur les besoins réels des membres du groupe, au delà de ce que l’individu peut donner à voir en première instance.
Bibliographie
Neyrand G., Évolution de la place du jeune enfant dans notre société : savoirs, accueil, parentalité, Journée du 12 février 2009 « Petite enfance et handicap », organisée par le collectif régional Midi-Pyrénées. Creai-Ifrass, 2009. Disponible sur le site www.creai-midipy.org/synthese/journeepetiteenfance.htm .
Charles Rojzman, Igor Rothenbühler et Nicole Rothenbühler, La thérapie Sociale, Chronique Sociale, Comprendre la société 2015
Sanson, Karine. « Pluridisciplinarité : intérêt et conditions d’un travail de partenariat », Le Journal des psychologues , vol. 242, no. 9, 2006, pp. 24-27.
Schwartz Y., Durrive L., L’activité en Dialogues. Entretiens sur l’activité humaine II, Toulouse, éditions Octares, 2009.