Je brosserai rapidement le cadre des conditions du changement et des différentes étapes que j’envisage et je m’attarderais sur la première condition : Harmoniser les motivations en permettant l’expression des membres, et aussi de certains sentiments négatifs.
En sociologie des organisations, on apprendque les acteurs, qui agissent à l’intérieur d’institutions, ne sont jamais passifs, qu’ils ne sont pas seulement les objets de la domination, mais qu’ils demeurent actifs, que sans leur implication et l’appropriation des outils, les changements ne peuvent tout simplement pas avoir lieu.
Le sens que les membres donnent à leur action et leur attitude face aux décisions sont définitifs.
Ainsi, aucun changement ne peut avoir lieu si les acteurs qui le mettent en œuvre ne lui donnent un sens.
Et sans appropriation, aucune organisation ne peut fonctionner.
Par contre, l’appropriation ne naît pas d’une attitude spontanée liée à une supposée nature humaine ou à des intentions et valeurs communes.
Il faut permettre aux membres d’être acteurs du changement
Tout changement nécessite comme condition nécessaire, la prise en compte des rationalités des différents acteurs impliqués, et donc la reconnaissance non seulement qu’ils peuvent et doivent infléchir les actions de changement, mais que concrètement ils les infléchissent et les modifient.
Il y a acceptation du changement lorsque les acteurs sont convaincus de la nécessité de ce changement, et qu’ils peuvent donner leur avis sur le type de changement qui va avoir lieu.
Pour cela ils doivent être reconnus comme des acteurs et être mis en capacité de le faire.
Cela implique que le changement ne peut avoir lieu que s’il y a construction de nouvelles relations.
Cette acceptation est conditionnée par le besoin qu’à chaque acteur de savoir approximativement où le changement va le conduire.
Il y a acceptation du changement dans les organisations que lorsque l’acteur comprend pour quelles raisons le nouveau mode d’action remet en cause ses logiques d’action, ses manières de faire c’est-à-dire les raisons qui, à son avis, lui ont permis de réussir ou du moins de faire son travail de manière satisfaisante à ses yeux et à ceux des responsables. Ce qui renvoie à l’idée de légitimité.
Être convaincu, c’est reconnaître le changement comme légitime, donc en accepter la mise en œuvre.
Les sociologues ont démontré qu’il est absurde de chercher à motiver quelqu’un, car une personne ne peut motiver une autre personne.
La seule chose possible est de mettre les gens dans des situations où ils se motivent eux-mêmes en leur donnant un rôle pour les impliquer et les faire agir ; chaque acteur sera concrètement associé à la recherche de solutions qui doivent être le fait de l’ensemble des acteurs.
Chacun se sent concerné parce qu’il voit qu’il pourra jouer un rôle dans la recherche de la réponse, qu’il pourra être enrôlé au sens propre du terme.
Comment permettre cette coopération au service du changement ?
Première condition : Harmoniser les motivations = Accueillir les sentiments négatifs
Exode 16 Toute l’assemblée des enfants d’Israël partit d’Élim, et ils arrivèrent au désert de Sin, qui est entre Élim et Sinaï, le quinzième jour du second mois après leur sortie du pays d’Égypte.
2 Et toute l’assemblée des enfants d’Israël murmura dans le désert contre Moïse et Aaron.
3 Les enfants d’Israël leur dirent : Que ne sommes-nous morts par la main de l’Éternel dans le pays d’Égypte, quand nous étions assis près des pots de viande, quand nous mangions du pain à satiété ? Car vous nous avez menés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude.
Premier réflexe : « C’est dingue, toujours en train de râler ceux-là, ils ont oublié les souffrances qu’ils enduraient en Egypte, ils ne s’imaginent même pas les efforts que Moïse à fait, lui qui était tranquille dans le désert, à s’occuper de ses moutons et de sa femme. »
Sous-entendu : « ils ne peuvent pas prendre sur eux un peu de temps en temps ? »
Qu’en est-il de nous, leaders ou responsables d’églises ou d’œuvre ?
Nous avons parfois tellement l’impression de nous plier en 4 pour satisfaire, faire plaisir, contenter chacun, être disponible, être présent, répondre aux sollicitations.
Et il y en a toujours qui sont là pour « murmurer » ! Et on se dit : Mais ce n’est pas possible quand seront-ils satisfaits ? Ce sont des râleurs, il y a des choses qu’ils n’ont pas réglés…
Les murmures aujourd’hui ne sont pas des cris d’indignation ou des révoltes ouvertes. Les murmures se disent entre deux portes, dans des conversations privées, se distillent dans l’ironie, se renforcent au fur et à mesure des conversations.
Il peut être facile de ne pas les voir, de ne pas les prendre en compte, et plus tard de ne pas comprendre les résistances au changement ou une certaine force d’inertie ou d’apathie qui se développe.
Au temps de Moïse, le « pas content » s’exprimait sous forme de murmures aussi, mais directement contre Moïse. Il avait « la chance » ou la « malchance » d’être le direct destinataire des mécontentements.
Sûrement que les Israëlites surestimaient sa capacité à prendre sur lui, lui qui était au contact direct de Dieu. Ils étaient de toute évidence moins précautionneux que nous dans l’expression de leur mécontentement.
Savait-il les écouter ? Dans leur configuration nous pourrions dire qu’il n’avait pas trop le choix.
En Exode 16 v 20 nous lisons que Moïse fut irrité contre ces gens.
Il était humain. Moïse, en état de burn-out presque permanent, n’avait plus les capacités de prendre sur lui.
Sa saturation, son irritabilité et les réactions qui en ont suivies ont fini par amener celle de Dieu sur lui.
Mais avait-il vraiment toujours besoin de prendre sur lui ? Ne prenait-il pas parfois la place de Dieu ? (frapper sur le rocher)
Et là surprise !
4 L’Éternel dit à Moïse : Voici, je ferai pleuvoir pour vous du pain, du haut des cieux. Le peuple sortira, et en ramassera, jour par jour, la quantité nécessaire, afin que je le mette à l’épreuve, et que je voie s’il marchera, ou non, selon ma loi.
12 J’ai entendu les murmures des enfants d’Israël. Dis-leur : Entre les deux soirs vous mangerez de la viande, et au matin vous vous rassasierez de pain; et vous saurez que je suis l’Éternel, votre Dieu.
Aussi agaçant et semblant capricieux que pouvait être le peuple, Dieu a considéré leurs récriminations comme légitimes !
Et il a donc choisi d’y répondre lui-même.
Observons un peu la réponse de Dieu. Leur a-t-il dit ? : « Oh mes pauvres enfants, mais bien-sûr vous avez faim, je vais vous donner à manger, voilà servez vous ! »
V 11 L’Eternel, s’adressant à Moïse, dit : J’ai entendu les murmures des enfants d’Israël. Dis-leur : Entre les deux soirs vous mangerez de la viande, et au matin vous vous rassasierez de pain ; et vous saurez que je suis l’Eternel, votre Dieu.
V 16 : Voici ce que l’Éternel a ordonné : Que chacun de vous en ramasse ce qu’il faut pour sa nourriture, un omer par tête, suivant le nombre de vos personnes ; chacun en prendra pour ceux qui sont dans sa tente.
Dieu répond de manière intentionnelle, dans un cadre précis, sécurisant, pédagogique et éducatif.
À y regarder de plus près, cette perspective est d’ailleurs présente dès le Livre du Deutéronome, où le don de la manne et son caractère particulier, à savoir qu’elle représente une nourriture inconnue du peuple, jouent un rôle à la fois éducatif et pédagogique. Ils ont vocation, de fait, à amener le peuple à reconnaître que l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur.
(Deutéronome : 8, 3). Il t’a humilié, il t’a fait souffrir de la faim, et il t’a nourri de la manne, que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connue tes pères, afin de t’apprendre que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais que l’homme vit de tout ce qui sort de la bouche de l’Eternel.
Il s’agit ensuite pour Moïse de mettre en œuvre ce cadre. Nous apprenons ici que le cadre qui reflète l’intention éducative de Dieu est indispensable à poser pour grandir ensemble.
En synthèse de cette première partie :
1° Les murmures ont leur part de légitimité. Ils traduisent souvent un manque au niveau d’un besoin fondamental : lien, valeur, sécurité, sens
2° Il s’agit de pouvoir accueillir et écouter les sentiments négatifs sans les prendre sur soi « comprendre sans prendre ».
3° Dieu prend le relais, et sa réponse dépasse celles que nous aurions faites par nous-mêmes.
4 Il répond en posant un cadre et en nous demandant de l’appliquer pour grandir ensemble
Le peuple murmure, Moïse les écoute (bien malgré lui), il obéit à Dieu qui lui répond en donnant un cadre et ils entrent dans le pays promis (nos nouveaux locaux ? )
Néhémie 9 v 15 : Tu leur donnas, du haut des cieux, du pain quand ils avaient faim, et tu fis sortir de l’eau du rocher quand ils avaient soif. Et tu leur dis d’entrer en possession du pays que tu avais juré de leur donner.